Le Tchad, par sa position géographique, est à la fois un pays de transit et de destination des migrants. A ces personnes s’ajoutent 427 024 réfugiés soudanais qui occupent 13 sites et un village depuis plus d’une décennie. Depuis plusieurs années, le Tchad accueille des réfugiés et retournés à la suite des différentes crises dans les Pays voisins notamment, la République Centrafricaine, le Soudan et le phénomène de Boko Haram au Nigeria qui a aussi impacté le Niger. Les femmes représentent la majorité de ces personnes touchées par ces différentes crises et constituent la couche la plus vulnérable.
La situation des femmes au Tchad est celle d’une autonomisation limitée par plusieurs facteurs dont les multiples crises, alimentée par un très faible niveau d’éducation et un accès limité à la propriété. Cela entrave l’épanouissement des femmes et réduit les efforts de développement.
Les femmes africaines sont connues pour être très actives dans la production et la transformation des produits locaux. Que ce soit en agriculture, élevage, pèche, collecte d’eau, de bois, vente de détail etc…
Adolph Allaramadji, le secrétaire général du département de la grande Sido, région frontalière à la République Centrafricaine qui accueille des réfugiés et de retournées depuis le déclenchement de la crise centrafricaine, a affirmé que « les femmes sont les plus actives dans la production et la transformation, contrairement aux hommes, et aux jeunes hommes ». Une affirmation qui donne une idée sur la perception du rôle de la femme aujourd’hui dans les communautés face à toutes les crises que traversent les différentes sociétés.
Les femmes autochtones parlent de la cherté de la vie survenue après l’arrivée des réfugiés centrafricains suite à la crise de 2013. « La vie était moins chère avant l’arrivée des réfugiés et des retournés. Le mil se vendait entre 150 frs et 300 frs la mesure. Mais aujourd’hui, le prix varie de 800 et 1200 frs pour avoir la même mesure de mil », selon Solkoudjal Marceline. Elle poursuit « les chefs ont récupéré nos champs pour les attribuer aux réfugiés. Ils sont en train de détruire nos ressources naturelles et lorsque nous demandons l’aide de ces autorités, ils nous demandent de l’argent afin de faire des papiers et pour nous trouver des financements. Malheureusement, nous n’avons jamais obtenu gain de cause. De plus nous peinons aussi à avoir accès au terrain laissé par nos parents parce que les garçons estiment que nous les femmes n’ont pas le droit d’hériter ».
Il faut rappeler que les populations de ces régions vivaient aussi de cueillette, de la chasse et de la pêche, des activités connexes à la production agricole. Mais aujourd’hui, la surpopulation a un effet direct sur l’accès à ces ressources. Les réfugiés et retournées s’adonnent aussi à la pèche, la chasse et la cueillette pour subvenir à leurs besoins qui ne sont pas totalement couverts par les organisations humanitaires. Selon les femmes de Maro, les organisations d’aide humanitaire, ne couvrent pas non seulement les besoins des réfugiés et retournés, mais ils donneraient plutôt de l’argent à la place de vivre. Ce qui amène ces personnes assistées à aller elles-mêmes à la recherche de la nourriture avec l’argent reçu ou encore, à s’attaquer aux moyens de subsistances des populations autochtones. Tout ceci vient fragiliser davantage les femmes sédentaires qui se retrouvent abandonnées à leur sort car les organisations d’aide humanitaire ne prévoient souvent pas un appuie pour la population locale.
Belomon Yaloungou, membre du collectif des femmes productrices de Maro nous affirme aussi que « les femmes autochtones sont marginalisées au profit des retournées et refugiées. Les organisations viennent en aide aux retournées et réfugiés en ignorant complètement que les femmes autochtones sont fragilisées et ont besoin d’appui. Souvent nos groupements sont mis à l’écart des financements et appuis des organisations d’aide humanitaire ».
Par ailleurs, les femmes réfugiées et retournées vivent des situations aussi difficiles que les femmes autochtones. Selon elles, l’aide humanitaire ne répond pas forcément à tous leurs besoins. Elles sont obligées parfois d’aller chercher du bois de chauffe pour la cuisine et beaucoup subissent des viols en dehors des camps et n’arrivent pas forcément à identifier les coupables pour réclamer justice d’une part, et d’autres part, elles n’en parlent pas à cause des jugements que les autres pourraient porter sur elles. Kaltouma H, une retournée du Soudan raconte « Nous avons des difficultés à avoir le bois de chauffe et souvent nous sortons du camp pour nous en procurer. Parfois les recherches nous éloignent du camp. Malheureusement, nous faisons face à des violences et des viols par des personnes inconnues qui nous laissent malades avec des déchirures physiques et morales »
Des viols aux violations de tous les droits
Au Tchad, la situation des filles et des femmes est complexe et comporte d’importants défis. Une femme sur cinq déclare être victime de violence physique au Tchad, 12 % des femmes subissent des violences sexuelles chaque année ; Les violences sont souvent liées aux traditions, à la culture et à l’impunité. Selon la Banque mondiale, la pauvreté et la vulnérabilité sont omniprésentes au Tchad, avec 42,3 % de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté national. L’extrême pauvreté ($2,15/jour par habitant, PPA 2017) reste également élevée dans le pays et a augmenté de manière significative, passant de 31,2 % en 2018 à 34,9 % en 2021 et 35,4 % en 2023, selon le rapport de la Revue secondaire du Tchad sur les Violences basées sur le genre.
De façon spécifique, les femmes en période de conflit sont victimes d’exploitation et d’abus sexuels, ainsi que de mariages forcés et précoces. Il est souvent difficile de documenter les abus subis par les femmes en raison d’une culture du silence, de la peur des représailles et de la stigmatisation. Selon une étude des Nations Unies au Tchad en 2023 le Tchad occupe le 4e rang mondial en matière d’inégalité de genre.
Les effets des conflits sur les droits des femmes et des jeunes filles.
Les facteurs liés aux conflits affaiblissent l’accès équitable aux ressources et empêchent les femmes de se faire entendre. Les femmes sont exposées de manière disproportionnée aux violences basées sur le genre et sont parfois susceptibles d’être recrutées par des organisations extrémistes violentes dans la région du lac Tchad. Selon les données de l’Organisation Internationale pour les Migrations au Tchad, en 2024 au moins 700 000 réfugiés, 144 015 retournés sont arrivés sur le territoire tchadien dont les femmes et les enfants représentent 93%. Dans ce contexte, les femmes subissent toutes formes de violations allant des violences physiques et le non-accès aux droits fondamentaux.
Sur le plan éducatif, la situation des filles au Tchad présente des défis importants ; 35 % des filles sont mariées avant l’âge de 15 ans, 44 % des filles ont vécu des mutilations génitales féminines. Au niveau primaire, le taux de scolarisation des filles semble acceptable, atteignant 80,4%. Cependant, à mesure que l’on progresse dans le cursus scolaire, ce taux diminue considérablement.
Dans l’enseignement moyen (6e – 3e), le taux d’achèvement pour les filles est seulement de 13,3%, comparé à 28,2% pour les garçons, avec d’importantes disparités provinciales. Au niveau du secondaire général (2de – Terminale), le taux d’achèvement des filles est encore plus bas, à 10,3%, et l’indice de parité (0,4) indique une faible fréquentation des filles, rapporte la Revue secondaire du Tchad sur les Violences basées sur le genre publiée en Juin 2023 par le Tchad et l’UNFPA.
Certaines provinces de la Bande sahélienne, telles que le Borkou, l’Ennedi Ouest et le Bahr-El-Ghazal, enregistrent des taux de scolarité des filles particulièrement bas. En revanche, les taux de scolarisation des filles sont plus élevés dans les provinces de la Ville de N’Djamena, le Logone Occidental, le Mandoul et le Mayo-Kebbi Ouest Ces données découlent du rapport 2023 des Nations Unies sur la situation des filles et des femmes.
Les effets du changement climatique sur les conflits au Tchad et leurs conséquences sur les femmes
Le lien entre le changement climatique et les conflits est de plus en plus au cœur des discussions sur la sécurité et le développement. L’un des endroits les plus préoccupants est le Sahel, une région définie par des conditions environnementales difficiles. Le Sahel, qui signifie “frontière” en arabe, est une région géographique d’Afrique qui sépare le désert du Sahara, au nord, des tropiques, au sud. Les six pays francophones du Sahel occidental – Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad – abritent collectivement plus de cent millions de personnes. L’instabilité climatique et les catastrophes naturelles récurrentes, telles que les invasions de criquets, les inondations et les sécheresses, sont susceptibles d’être aggravées par le changement climatique.
Cela pourrait déstabiliser davantage la sécurité alimentaire, compromettre les moyens de subsistance et aggraver la concurrence pour les ressources, telles que la terre et l’eau.
Selon OCHA, dans le Sud du pays, de fin août à septembre 2023, des inondations ont touché les provinces du Logone oriental, du Mandoul, de la Tandjilé, du Mayo Kebbi Est, et ont détruit 18 130 hectares de cultures, 2 700 maisons. Les femmes qui représentent 70% de la population rurale du Tchad sont confrontées à l’appauvrissement de sol, la dégradation et les érosions ainsi que l’assèchement des cours d’eau réduisant leurs capacités de production. Les opportunités sont beaucoup plus réduites dans les zones en conflit pour les femmes de pouvoir produire sans des programmes de renforcement de la résilience de ces femmes.
La situation juridique pour les femmes tchadiennes
Le code des personnes et de la famille qui devrait être un véritable outil juridique de protection des droits des femmes n’est toujours pas adopté par manque de volonté politique. Les considérations religieuses qui entravent l’adoption de ce code ne se justifient pas puisque le Tchad est un Etat Laïc.
Sur le plan politique, le combat pour restaurer la dignité de toutes les femmes en période de crise n’est pas encore gagné, même si le Tchad a adopté la résolution 2242 (adoptée en octobre 2015) qui reconnaît la nécessité d’impliquer les femmes dans la prévention de l’extrémisme violent et la résolution des conflits. Le Tchad, en tant qu’état membre doit veiller à impliquer les femmes davantage dans la prévention et la gestion des crises afin de réduire considérablement les impacts sur les femmes et les jeunes filles.
Un Observatoire de la promotion de l’égalité et de l’équité de genre a été créé dans un contexte de violations persistantes des droits des femmes et des filles ». Mais il faut rappeler qu’au Tchad, les institutions nationales de défense des droits de l’homme sont faibles et ne disposent pas de moyens de leur politique. Le manque d’indépendance judiciaire et l’impunité restent des préoccupations majeures. La réforme de la législation alignée sur les instruments internationaux de protection des droits de l’homme est en suspens depuis plusieurs années. L’impunité prévaut, tout comme les violations des droits des femmes, notamment les violences sexuelles et les mutilations génitales féminines.